Cette activité ne nécessite pas de coach personnel pour s’y préparer. Si vous n’avez pas le sens de  l’équilibre ni de planche de surf, aucun problème. Vous avez juste besoin du sens de l’hospitalité et d’un bout de parquet pour y poser un matelas si votre canapé ne fait pas lit. Le principe est simple. Vous créez un profil sur le site. Vous ajoutez ou pas une photo de vous et de votre salon, un bref descriptif de votre personnalité et de vos aspirations en vous lançant dans cette aventure. Enfin vous dites si vous êtes prêt à héberger des voyageurs ou simplement à aller boire un verre avec eux en leur servant de guide pour visiter votre ville ou votre village. Plus qu’à attendre tranquillement les demandes d’hébergements des voyageurs qui transitent par votre région. Nul besoin de préciser que plus votre lieu de résidence est touristique et au top du classement des nuitées d’hôtel ou AirBNB les plus onéreuses, et plus vous recevrez des demandes de routards aux petits budgets préférant découvrir la vie des locaux plutôt que le 3 étoiles du coin. Certains ont les moyens de se payer l’hôtel mais préfèrent le confort spartiate de votre canapé pour vraiment découvrir la vie locale plutôt que le confort aseptisé de l’établissement d’une chaîne d’hôtel dont la chambre sera la même à Buenos Aires, Pékin ou Sydney.

Rien ne vous oblige à accepter toutes les demandes que vous recevez. Fiez vous à votre instinct, échanger quelques mots avec votre, ou vos futurs invités, lisez les commentaires des membres du site qu’il, ou elle a déjà croisé et lancez vous si le feeling est là!

Il y a de cela quelques semaines, j’ai donc accepté la demande de Shirin, une iranienne résidant à Téhéran. J’avoue avoir été surpris en recevant sa requête. Il est déjà rare de recevoir une demande d’hébergement d’une femme seule quand on est un homme, mais d’une femme seule qui vient d’un pays comme l’Iran, c’est encore plus étonnant. Son profil était tout nouveau donc pas de commentaires d’autres membres pour savoir à qui j’avais à faire. Une photo de face mais plutôt floue. Elle avait tout de même fait vérifier son numéro de téléphone mais pas son adresse (1).

Un bon point pour elle. Son email était personnalisé. Elle avait lu mon profil et savait donc qui j’étais et ce qui m’intéressait là ou les deux tiers des demandes sont de grossiers copier coller en espérant juste une réponse positive, peu importe de la part de qui. Car oui, il ne faut pas s’y tromper, pour la grande majorité des utilisateurs du site Couchsurfing.com, la motivation est surtout d’économiser une nuit d’hôtel et pas vraiment pour l’échange culturel et la découverte de votre mode de vie. Parfois vous avez même la désagréable impression de n’être qu’une réception d’hôtel recevant des réservations. Je refuse rapidement ce genre de demande et peu importe qu’elle ait été faite par une fille ayant l’air d’une top model sur son profil. N’oubliez pas que seul le lit que vous avez à lui offrir l’intéresse mais sans vous dedans….

Petite anecdote. Un jour je reçois un message d’un lyonnais, soit à seulement deux heures de route de chez de moi. Pour l’exotisme on repassera mais le but du Couchsurfing étant également de rendre service, pas de raison de l’éliminer d’entrée. Mais la suite ne le fait pas remonter en tête de liste des candidats à l’hébergement. Son message ressemble à un copier coller et ne dépasse pas les deux lignes. « Bonjour, je viens assister à un concert, je ne pourrais pas rentrer à Lyon directement après, je n’ai besoin que d’un canapé pour dormir, pas besoin de petit déjeuner, je partirai tôt » En résumé, je ne le verrai pour ainsi dire pas. Nous n’aurons pas le temps de faire connaissance. J’aurai juste à lui préparer son lit mais il me libère généreusement de la corvée de me lever aux aurores pour lui préparer son petit déjeuner. Comment refuser une telle proposition? Eh bien tout simplement en cliquant sur le bouton refuser la demande… Ce jeune garçon a manifestement confondu le Couchsurfing avec un site de réservation gratuit de Bed and breakfast. Personnellement j’ai tendance à offrir la pension complète mais c’est à l’appréciation de chacun et vous n’avez aucune obligation exceptée celle d’héberger le ou les voyageurs aux dates qu’ils vous ont indiqués. Et ceux-ci vous remercient très souvent en vous préparant un soir la spécialité de leur pays d’origine.

La demande de Shirin était personnalisée. Elle avait clairement lu mon profil. Elle avait envie de faire ma connaissance et moi j’ai toujours été tenté et fasciné par le pays des mollahs. Ce pays n’étant pas facile d’accès, même si depuis peu il s’est ouvert, l’occasion était trop belle de faire venir l’Iran à moi. Mais ayant lu beaucoup de choses au sujet de ce pays (si ça vous intéresse, quelques idées de lecture en vrac en bas de cet article), je me suis demandé comment une femme seule pouvait voyager et demander à être hébergé chez un étranger sachant que la liberté de mouvement des iraniennes est réduite et les contacts avec le sexe opposé plutôt proscris exceptés dans le cercle familiale.

Je me suis donc renseigné auprès d’une amie qui revenait d’Iran pour savoir si cette demande n’était pas étrange. Par les temps qui courent, on a tendance, j’ai tendance, à tout de suite imaginer le pire. Une espionne à la solde d’un Mollah vient recruter pour un projet d’attentat terroriste visant à neutraliser la production Suisse de chocolat tant que les sanctions internationales contre l’Iran ne seront pas toutes levées. Mon appartement serait alors transformé en base arrière pendant que je moisirai à la cave avec pour seule compagnie les rats. Selon mon propriétaire le problème des rongeurs a été réglé la semaine dernière mais il ne m’a pas parlé d’agents de sécurité censé me protéger d’un complot iranien sur ma personne. Mon amie m’a rassuré en me confirmant que derrière l’image assez négative qu’on en a, les iraniens sont en fait des gens très ouverts. Shirin a semble t-il vécu en Grande Bretagne, elle doit s’être occidentalisée donc il n’y a rien de choquant à faire une demande d’hébergement chez un homme étranger à sa famille. Je n’ai aucun doute sur ce dernier point car malgré les yeux perçant de ma maman à qui rien échappe, j’imagine mal mes parents m’avoir caché une sœur persane. Rassuré, j’ai dit banco et accepté la demande de Shirin pour 3 nuits chez moi.

Jusqu’au dernier moment sa venue n’est pas garantie. Elle vient pour assister à une conférence internationale à Genève mais malgré cet événement officiel, elle n’a toujours pas le précieux Visa pour le pays à la croix blanche. Dans ces cas là, je mesure la chance d’avoir un passeport qui me permet de voyager dans une majorité de pays sans avoir à me déplacer dans les consulats ou les ambassades pour récupérer le fameux sésame indispensable à l’entrée dans le pays de destination. Elle le reçoit finalement deux jours avant son arrivée. Je la réceptionne donc un mardi midi à l’arrêt de bus près de chez moi. Innocemment je m’attendais à y trouver une femme voilée. C’est fou ce qu’on peut avoir comme idées reçues et c’est justement ce à quoi sert le Couchsurfing, à les éliminer et à et à s’en faire de nouvelles plus proches de la réalité. Cette expérience vous réapprend également à faire confiance à l’inconnu et aux inconnus. Je suis sûr que beaucoup se disent, mais comment peut il oser faire venir chez lui une parfaite inconnue. Je me posais la même question avant d’avoir essayé. J’ai eu de la chance je n’ai jamais eu de mauvaises expériences. Si bien qu’avant de retourner travailler, je lui donne sans aucune crainte, mon code WiFi, un plan de Genève et un double des clés de mon appartement…la laissant libre de ses aller et venues (2).

Ce soir en rentrant du travail, ce n’est pas la routine qui m’attend mais rendez vous en terrain connue, mon appartement, avec une inconnue. Shirin m’offre une boite de pâtisseries iraniennes pour me remercier de mon hospitalité. Rien que ces pâtisseries justifient le petit risque d’avoir accepter d’héberger cette parfaite inconnue venant tout droit d’un pays appartenant, il y a encore peu, à l’axe du mal. Tout simplement délicieux, encore une bonne raison d’aller visiter l’Iran. Mes talents de cuisinier étant limités, lorsque je reçois des voyageurs de pays exotiques comme celui là, peu importe la saison, je leur propose une bonne raclette et ils refusent rarement !

C’est donc dans un climat moyen oriental grâce aux rayons estivaux du soleil bien secondés par l’appareil à raclette que nous commençons à discuter de l’Iran. Mais auparavant, séance photos pour immortaliser le moment. Moi avec la pelle à raclette. Moi avec la tranche de fromage. Moi avec le plateau de charcuterie. Moi avec le bocal de cornichons. Eh oui, il faut savoir donner de sa personne pour recevoir dignement ses Couchsurfers et ne pas avoir peur du ridicule parfois…

Shirin aime son pays. ça se voit, ça se sent et ça s’entend! Si il y avait un poste d’ambassadeur pour vanter les mérites du peuple iranien et les beautés de la perse, elle aurait tout à fait le profil. Je n’ai donc pas beaucoup à la motiver pour qu’elle me parle passionnément de son pays. Je n’ai même pas à lui poser la question sur le voile. C’est une des premières choses qu’elle m’explique. En Iran, elle n’a pas d’autre choix que de porter ce « satané » voile comme elle l’appelle mais dès qu’elle est dans le cercle privé, chez elle ou à l’étranger sans potentiels espions du régime, elle le range bien vite dans son sac. D’ailleurs, durant tout son séjour chez moi, je ne l’ai jamais vu le porter. Je sais juste qu’elle s’est rendu avec à la conférence. Cette conférence étant internationale et n’étant pas la seule iranienne présente, elle n’a pas d’autre choix que de jouer le jeu au risque d’avoir des problèmes en rentrant.

Une des choses qu’elle m’avoue le plus naturellement du monde c’est que les iraniens sont habitués à mentir et qu’ils apprennent à le faire dès leur plus jeune âge. C’est une question de survie. C’est d’ailleurs la première fois que j’héberge quelqu’un, ou même simplement que je discute avec quelqu’un qui me dit qu’elle risque sa vie à tout moment si elle se fait prendre, par exemple, à dire qu’elle ne croit pas du tout à ce voile ou à toutes les règles dictées par les religieux de son pays. D’ailleurs dans l’imaginaire de tous, l’Iran est un pays musulman. Son nom officielle est d’ailleurs la république islamique d’Iran mais comme Shirin me l’explique, l’Iran est avant tout un pays habité par les perses qui n’ont rien à voir avec l’Islam à la base. On leur a imposé cette religion à laquelle beaucoup ne croient pas. Mais ils n’ont pas d’autres choix que de faire semblant au risque de perdre la vie. Sa famille n’est absolument pas croyante et est très ouverte sur l’occident. Ils écoutent de la musique occidentale, regarde la télévision, ne sont pas du tout religieux. Quand ils sont chez eux, ils ne respectent pas du tout les règles dictées par les mollah mais dès qu’ils sortent dans la rue, les femmes de la famille mettent le voile. Et si on leur demande, elles connaissent les réponses qui sauvent même si elles ne croient pas ce qu’elles disent. Dès son plus jeune âge, le père de Shirin lui demandait donc de ne pas raconter à l’école ce qu’ils faisaient chez eux. Le mensonge est donc ancré dans la culture iranienne, mais pour la bonne cause, c’est tout simplement une question de survie!

Shirin m’a aussi parlé de l’exemple d’une de ses amie qui a les compétences pour postuler à de bons postes dans l’administration iranienne mais qui ne postule même pas. Trop dangereux. Chaque candidat doit passer des entretiens très poussés avec de nombreuses questions sur la religion ou la politique. Au moindre impair, le poste vous passe sous le nez mais surtout vous pouvez vous retrouver la corde au cou….

Même si le sujet est lourd, à aucun moment Shirin ne cherche à susciter la pitié. Elle raconte juste la vie en Iran et à quel point elle aime son pays qui est malheureusement dirigé par des imbéciles. Mais comme je lui fais remarquer, leur meilleur ennemi les Etats Unis, sont également maintenant dirigées par un imbécile. Elle m’explique que finalement, tout ce qui se passe à l’étranger, même si les iraniens ne s’en désintéressent pas, ce n’est pas leur priorité. Pour elle, même si le pouvoir actuel a clairement plein de défauts, il a au moins le mérité de maintenant la paix à l’intérieur du pays ou se côtoient différentes communautés aux origines diverses. Et pour elle, comme pour la majorité des iraniens, le plus important, ce sont la paix et la stabilité du pays. Toutes les contraintes et traitements inhumains qui pour nous, dans nos conforts occidentaux, nous paraissent invivables, pour les iraniens, ce sont juste des paramètres avec lesquels ils se sont habitués à vivre.

Mais heureusement il y a aussi des sujets de conversation plus légers. Ce soir, il y a un match de football avec l’Angleterre. Je lui propose de le regarder et à ma grande surprise, je n’aurais pas pu lui faire plus plaisir. Elle m’explique alors que durant les weekends, les iraniens sont abreuvés de foot à la télévision et essentiellement de football anglais. Je lui dis que pourtant je croyais que tout ce qui était occidental était proscris? Elle me répond que les autorités religieuses préfèrent garder la population chez elle devant la télé à regarder du football plutôt que de risquer qu’elle descende dans la rue pour manifester. Les footballeurs anglais sont donc les gladiateurs iraniens modernes. Des jeux pour le peuple et le peuple reste tranquille. Cette première soirée s’achève sur une défaite de l’équipe d’Angleterre ce qui ne fait pas perdre son sourire à Shirin. Quand je vois certaines personnes proches de moi qui ont tout mais qui passent leur temps à se plaindre, rencontrer une personne comme Shirin, qui aurait elle toutes les raisons de se plaindre, mais qui prend les choses avec philosophie et la vie du bon côté malgré les nombreuses contraintes qu’elle subit, c’est une belle leçon de vie.

Le lendemain soir, nous discutons de sa journée à la conférence qu’elle a donc passé voilée. Elle me raconte qu’elle a discuté avec un homologue américain mais que durant toute la discussion, elle devait regarder autour d’elle si il n’y avait pas d’autres iraniens qui pourraient la dénoncer pour avoir discuter avec un représentant de l’ennemi juré. C’est ça la vie d’un iranien. Toujours se méfier de qui écoute ou qui observe en plus de devoir mentir sur ses croyances si elles différent de la norme imposée.

Pas au fait des us et coutumes suisses, il lui prend une envie soudaine de bière passé 20h. Je lui dis que tout est fermé à cette heure et que je ne sais pas où elle pourrait en trouver. Elle se lance tout de même dans cette vaine quête pendant que je prépare le repas. Quand elle revient, elle a deux bouteilles de bière d’une célèbre marque américaine dans la main! Je lui demande où elle a pu dénicher ça à cette heure. Elle me dit qu’elle a tenté dans la station service juste à côté mais qu’il n’y en avait pas. Elle est donc tout simplement rentré dans un bar et a demandé deux bières. Le barman lui a dit qu’il n’avait pas le droit de lui vendre des bières à emporter mais manifestement elle a trouvé les arguments pour le convaincre! Le système D à l’iranienne.

Ce soir la conversation tourne plutôt autour de ses aspirations professionnelles. Elle aimerait rejoindre une organisation humanitaire à l’étranger venant en aide aux réfugiés. Après avoir entendu toutes ses histoires sur l’Iran, je me dis que c’est surtout l’étranger qui devrait aider les iraniens plutôt que de leur imposer des embargos qui ne dérangent pas vraiment leurs dirigeants mais qui ajoutent à leurs difficultés quotidiennes.

Après ces deux soirées de discussions, Shirin conclut d’une simple question tout à fait légitime. Bon et toi, tu viens quand visiter mon pays?J’en ai évidemment très envie. Les plus belles pièces des musées d’art islamique que j’ai visité viennent toutes d’Iran, les images de ce pays que j’ai vu à la télévision ou dans des magazines sont une invitation au voyage. Et après avoir rencontré Shirin, je suis maintenant convaincu que ce pays n’est pas fait que de fanatiques religieux ce qu’on pourrait croire en se contentant de la vision des journaux télévisés. Au contraire, il semble que ce ne soit qu’une minorité et qu’ils ne représentent vraiment pas ce fabuleux pays. Alors oui il faudra que je songe à prendre un billet pour Téhéran pour aller visiter entre autre Persépolis et rendre visite à Shirin. Car c’est aussi ça le Couchsurfing. Vous hébergez un ou une inconnue chez vous et quelques semaines, mois,ou années plus tard, c’est chez un ou une amie que vous allez dormir.

Le lendemain matin, nous quittons ensemble l’appartement et nous nous disons au revoir et non adieu sur le trottoir, Shirin rejoignant le lieu de la conférence pour le dernier jour de réunions. Avant de partir, elle me donne la récompense ultime de tout hébergeur de Couchsurfeurs: « merci de m’avoir accueilli pendant 3 jours, grâce à toi j’ai apprécié Genève sous un autre jour ». Dernière question idiote avant de la quitter. Je peux t’écrire et t’envoyer des photos par Whatsapp, tu ne risques rien? Tu peux sans soucis. Et c’est ainsi que s’est achevé ma rencontre avec Shirin l’Iranienne.

C’est exactement pour ce genre de rencontre que je me suis inscrit sur le site Couchsurfing. Dans votre profil, vous devez parler d’une chose incroyable que vous avez fait dans votre vie. J’ai répondu: m’inscrire sur ce site! Car oui, dans notre société ultra sécuritaire, on cherche plus à se protéger qu’à s’ouvrir aux autres et on se prive alors de sacrées rencontres. Alors si vous aussi vous avez envie de faire une chose un peu folle, hébergez un voyageur de passage, je suis à peu près sûr que vous ne le regretterez pas!

Comme elle me l’a confirmé, voici quelque uns des livres que Shirin n’aurait pas pu mettre dans sa valise sous peine d’avoir des problèmes en rentrant chez elle: