J’ai rencontré les géants pour la première fois par hasard alors que j’étais en transit dans la belle province à Montréal, ville qui fêtait son 150ème anniversaire. Les manifestations se devant d’être à la hauteur de l’événement, nos amis québécois ont décidé de faire traverser l’Atlantique à la compagnie nantaise Royal Deluxe et à ses marionnettes géantes. Quand j’ai appris qu’un scaphandrier de 10 mètres de haut allait se balader au milieu des gratte ciels nord américains, je me suis dit qu’il fallait que j’aille jeter un œil.

Je pensais y rester 10 minutes et repartir visiter le reste de la ville après. J’ai finalement fait comme tout le monde. J’ai suivi le cortège les yeux pétillants et retrouvé mon âme d’enfant (que je n’ai, il est vrai, jamais réellement perdu) le temps de quelques hectomètres en compagnie d’un géant. Je l’ai donc vu enjamber l’arche du quartier chinois grâce à une grue, se rafraîchir le gosier à l’aide d’un entonnoir et de la lance à eau d’un pompier perché sur la grande échelle de son camion, ou encore saluer en inclinant la tête quelques spectateurs sur leurs balcons aux 4ème ou au 5ème étage de leurs immeubles…
Pour terminer la balade, il a ensuite rejoint une petite fille de 5,5 mètres de haut qui était accompagnée de son chien qui est allé jusqu’à chatouiller de son museau les frimousses des enfants émerveillés et parfois un peu craintifs aussi. Massés sur les trottoirs, ils étaient accompagnés de leurs parents qui en oubliaient pour un instant leur statut d’adultes pour rejoindre le monde de leurs rejetons le temps d’une parade. J’ai trouvé le spectacle génial et la musique entraînante mais je n’y suis pas retourné le lendemain. Le parcours changeait mais je me suis dit que je les avais déjà vu une fois et que même si le décor était différent, le tout ressemblerait surement un peu à ce que j’avais déjà vu, j’avais tort…

Quelques semaines après mon retour de vacances, j’apprends après joie que la saga des géants vient se produire à domicile à Genève! C’est ce qui s’appelle avoir de la chance puisque Royal Deluxe ne se produit que 2 ou 3 fois par an hors de ses bases avec ses géants voir pas du tout certaines années. Sans connaitre leur existence en début d’année, je vais pouvoir suivre leurs pérégrinations pour la seconde fois. Force est de constater que je ne suis pas le seul à découvrir cette troupe de théâtre de rue puisque toutes les personnes à qui j’en parle, d’abord ne savent pas de quoi il s’agit, et ensuite ne sont même pas informées que les géants arrivent en Suisse. Les premières affiches n’apparaissent d’ailleurs que quelques semaines avant le dernier week-end de septembre, date programmée de leur arrivée. Quand les géants se déplacent, ce n’est pas pour rien. La saga des géants c’est une trilogie, vendredi, samedi et dimanche, du grand spectacle avec peu d’entractes. Plus grand que le Hobbit (ce n’est pas difficile), plus réaliste que Star Wars (mais également la tête dans les étoiles), aussi poétique que la saga du Seigneur des anneaux (mais en version plus urbaine), cette superproduction arrive prochainement sur vos écrans de smartphone grâce aux réseaux sociaux, mais aussi, et surtout, bientôt sous vos fenêtres, dans vos rues, dans vos parcs et sur vos places. Qui n’a jamais rêver de pouvoir être téléporté dans l’univers de sa saga préférée. C’est l’argument de vente idéal pour les vendeurs de home cinéma qui vous promettent d’être au cœur de l’action avec des écrans toujours plus grands. Dans les multiplex c’est la 3D voir la 4D qui sont censées vos projeter au cœur de l’action. Les géants réalisent tous ces souhaits sans le moindre problème. Pas de billets à acheter ou d’équipement à la pointe de la technologie à acquérir. Munissez-vous simplement d’une bonne paire de chaussures, de vêtements en adéquation avec les prévisions météo, d’une paire d’yeux curieux, d’oreilles grandes ouvertes avec éventuellement des bouchons pour se protéger de la sono surpuissante et donc, et surtout, de votre âme d’enfant pour apprécier le spectacle!
Si ce dernier élément vous manque, vous ferez surement partie des bougons qui ne voient dans ce spectacle que l’argent dépensé par la ville pour faire venir les 2 géants de plusieurs tonnes et les nombreux lilliputiens qui les manipulent, les problèmes de circulations que les routes fermées ne manquent pas de créer et vous ne verrez que 2 poupées sans âme qui déambulent dans les rues sans aucun intérêt si ce n’est de vous empêcher de traverser pour aller acheter votre croissant du dimanche matin. On ne peut pas plaire à tout le monde et les géants ne dérogent pas à la règle mais à voir la foule qui se massent sur leur passage et qui suivent leur progression ensuite, les ronchons ne sont pas majoritaires!
La première fois que j’ai appris l’existence des géants, je m’attendais à une espèce de parade avec un char où trônait le géant dirigé par quelques techniciens, un peu comme Mr Carnaval qu’on laisse passer devant nous avant de le suivre jusqu’au bûcher. On le regarde passé, éventuellement on le regarde brûlé et on rentre chez soi. Eh bien la saga des géants, ce n’est pas du tout ça, d’abord parce qu’heureusement on ne les brûle pas n’en déplaisent aux gens qu’ils dérangent. Ensuite parce que les techniciens habillés avec leurs queue de pie rouges sont de vrais artistes, certes un peu techniciens aussi mais surtout acrobates. Enfin, parce que la ville où se baladent les marionnettes se transforme en une scène géante à ciel ouvert où les habitants ne sont pas de simples spectateurs mais bien des figurants voir des acteurs de l’histoire qui défile sous leurs yeux. Les géants sont de grandes poupées articulées qui dansent, parlent, dorment, se réveillent, conduisent, ronflent, ont des émotions et en procurent de nombreuses aux personnes qui savent apprécier leur poésie.
Le spectacle de Genève s’appelle La Saga des Géants Le Chevalier du Temps perdu. Sont conviés à la fête une grand mère de 7m50 et une petite fille de 5m50, toute une ribambelle de lilliputiens pour les animer, un chevalier donc, des bénévoles pour encadrer le cortège et bien entendu toute la population de la région genevoise et même de Suisse et de France voisine pour les admirer.
Les parcours pour les 3 jours sont publiés mi septembre. Le réveil des géants est lui prévu pour le vendredi 29 septembre au matin. Deux jours avant, les plus impatients ont pu allé regarder la Grand Mère dormir dans un lit dans le hall d’un théâtre installé dans une ancienne usine. Malgré mon impatience, je dois attendre le vendredi midi pour aller profiter des rythmes endiablés qui accompagnent les pas des géants. Enfin quand je dis midi, à 11h30 je ne tiens plus et monte sur mon vélo direction Carouge pour croiser le parcours de la petite fille. Je croise d’abord beaucoup de policiers et de membres de la protection civile qui encadrent la zone des festivités. Beaucoup de gens sur les trottoirs, l’effervescence est déjà présente sans que l’on sache trop si cela est du à la désorganisation des parcours habituels pour les transports genevois ou bien à l’attractivité de ces poupées gargantuesques. En tournant la tête sur la droite j’aperçois alors la grand mère se baladant sur la plaine de Plainpalais qu’elle aurait déjà du avoir quitté depuis un moment. Ni une ni deux, j’attache mon vélo et je m’approche d’elle. A son âge, elle s’aide d’une canne évidemment proportionnelle à sa taille pour marcher.
Des lilliputiens se balancent à des cordes de chaque côté pour la faire avancer au rythme des « pied gauche levé! pooosé, pied droit levé! poosé » prononcé par le lilliputien au gigaphone qui dirige également toutes les manœuvres millimétrées. Chaque lilliputien a un rôle bien précis et se fait appeler d’un Monsieur ou Madame accolé à son prénom. Et des manœuvres il y en a de nombreuses sur le parcours. Même si à mon goût, le plus impressionnant reste de voir progresser les géants de toute leur grandeur sur une bande son rythmée qui en fait danser plus d’un ou plus d’une dans la foule, la variété des actions ou mode de transport est impressionnante.
Evidemment, à son âge la Grand Mère est un peu plus limitée. Pour la faire passer sous les fils qui alimentent les tramways ou les bus de la ville sans abîmer sa mise en plis, les petits hommes et femmes en rouges l’installent confortablement dans un fauteuil roulant. La précision de la manœuvre, la vitesse et la dextérité avec laquelle elle est effectuée déclenche une salve d’applaudissements dans la foule et notre grand mère, à laquelle on s’attache vite, peut reprendre son parcours. Il y a alors deux écoles. Ceux qui se fraient un passage sur les trottoirs derrière ceux qui ont choisi d’admirer le spectacle à un endroit fixe, et ceux qui, connaissant le parcours sur le bout des doigts utilisent les rues adjacentes pour recroiser leur géante un petit peu plus loin. Grâce au site internet de la manifestation, on peut aussi suivre en temps réel la progression des deux géantes. A la pointe de la technologie, elles sont équipées de puces GPS. Difficile de ne pas les voir vu leurs tailles et impossible de les perdre! En ce vendredi midi ensoleillé, la cour de la grand mère est déjà importante et l’espace se fait rare sur les trottoirs du parc des acacias pour assister au spectacle de la géante qui quitte à nouveau son fauteuil pour poursuivre sa balade debout. Ma pause déjeuner étant terminée, c’est à contre cœur que je décide de l’abandonner bien décidé à la retrouver le lendemain.

Ce samedi matin, le réveil des deux géantes sur la plaine de Plainpalais est prévu à 10h mais je fais un saut vers 8h45. Des gens sont déjà collés aux barrières pour être aux première loges. La Grand Mère est déjà là, dans son fauteuil perdue dans ses rêves. La Petite Géante est, elle, dans un lit qui semble plus confortable mais bien trop petit pour son aïeul. Des ronflements remplissent la plaine sans qu’on sache qui de l’ancienne ou de la jeune produit ces sons. C’est aussi ça la magie des géants. Le spectacle ne s’arrête jamais durant 3 jours. On ne tire pas le rideau à la fin du spectacle mais juste une couverture à la fin de la journée sur les jambes des deux géantes pour qu’elles ne prennent pas froid. On peut donc les admirer quasiment non stop. Pendant 3 jours et 2 nuits Genève a deux nouvelles résidentes.

Lorsque je reviens à 10h pour le réveil, la foule est massée, impatiente de voir les premiers signe de vie des marionnettes. Précision suisse oblige, il y a ça et là des plaintes sur le retard. Mais elles sont bien vite oubliées quand le cortège des lilliputiens rejoint la scène. Petit à petit les poupées se mettent à bouger, ouvrent un œil puis les deux. La Grand Mère baille. Pour l’aider à se réveiller, on lui donne une gorgée de Whisky et on lit dans son regard espiègle qu’elle apprécie. Elle enchaîne en fumant la pipe pendant que la petite fille prend sa douche. Les lilliputiens ont eux enfilés leurs cirés jaunes pour se protéger. Les deux géantes font quelques pas pour dégourdir leurs articulations puis la Grand Mère prend la parole alors que le chevalier du temps débarque. Dans la langue des géants, elle raconte alors une histoire de météorites, d’horloge, de particules et de géants évidemment. Heureusement elle s’est déplacée avec son traducteur en français et sa traductrice en langue des signes ce qui aide bien à suivre le récit.
L’histoire terminée, nos deux géantes prennent deux chemins séparés pour aller explorer la ville. Je décide de suivre la Grand Mère pour commencer puis rejoins la Petite Fille lancée dans un grand prix de formule 1 effréné en plein cœur de la ville avant de reprendre sa marche à pas de géante. Elle traverse le lac Léman par le pont des Bergues en apercevant au loin, pour la première fois, le célèbre jet d’eau symbole de Genève après avoir visité la ville de Carouge en trottinette la veille. Il est plus grand qu’elle ce qui semble presque l’étonner. Je décide de l’abandonner et d’aller voir ce que fait la Grand Mère. En passant au rond point de Rive, j’entends une mère dire à sa fille, « regarde là haut, la géante! « . Je lève moi aussi les yeux et aperçois la Grand Mère s’envoyer en l’air au dessus d’un des pont du quartier de Champel. Je la rejoins au moment où elle pose à nouveau ses pantoufles sur le plancher des vaches au son de la musique de mission impossible. Mais a priori tout est possible pour elle même à son âge. On lui redonne tout de même sa canne pour faire quelques mètres avant qu’elle ne retrouve son fauteuil pour passer le rond point de Rive et ses nombreux fils électriques. La sieste est pour bientôt au parc Lagrange et pour moi l’heure de rentrer reprendre des forces.

L’après midi est pluvieuse mais rien n’arrête les géantes ni les spectateurs encore nombreux sur les coups de 19h30 pour assister à leur coucher. La petite fille nous gratifie d’une danse énergique pendue au bout de sa grue tandis que la Grand Mère se réchauffe d’une rasade de Whisky. Evidemment, la petite fille a droit à une histoire raconter par la grand mère avant que le marchand de sable sous la forme du chevalier du temps ne passe. Nos deux géantes rejoignent alors le pays des songes cachées derrière d’épais nuages de fumée.
Déjà 24 heures en compagnie des géantes et je ne m’en lasse toujours pas. Au contraire, j’ai déjà hâte d’être au réveil le lendemain.
10h. Dimanche matin. Le soleil est de retour est la foule avec. Le public est maintenant bien rôdé et quand l’orchestre joue les premières notes, il sait que la journée des géantes va bientôt débuter. La troupe des lilliputiens arrivent sous les vivas du public. Les enfants sautent sur les épaules de leurs parents ce qui exaspèrent certaines personnes du public dont la vue est alors bouchée mais ça ne dure pas longtemps. Dès que les deux géantes sont sur leurs jambes, tout le monde peut profiter du spectacle sans aucun problème. La Grand Mère fait ses adieux à la plaine de Plainpalais dans son fauteuil en suivant la Petite Géante qui a enfilé ses lunettes d’aviateur et enfourché sa moto. Il y a quasiment autant de monde sur le bas côté des routes que dans les rues adjacentes. C’est la course pour profiter au maximum de nos marionnettes préférées. Dès qu’elles sont passées devant eux, les gens s’engouffrent dans les rues alentours pour rejoindre au plus vite le parcours un petit peu loin. Là où cela le permet, la foule progresse sur plusieurs rangées au même rythme que le cortège. A Champel, la grand mère récupère une baguette de pain pour le déjeuner. Une lilliputienne semble lui murmurer quelque chose à l’oreille. La Grand Mère cligne des yeux semblant acquiescer. Ce n’est pas qu’une marionnette, on en vient à se demander si une part d’humanité ne l’anime pas…Après le quartier de Rive, elles reprennent leur marche jusqu’au port noir pour leur sieste où je les retrouve en milieu d’après midi.

La foule est impressionnante. Des voitures surmontées de voitures elle même surmontées d’un tambour et d’un percussionniste ouvrent la route devant un cortège d’hommes et de femmes en noir portant le deuil du départ des géantes et se protégeant avec des parapluies eux aussi noirs des larmes de tristesse que déversent des lances à eau montées sur une camionnette. Comme c’est aussi et surtout la fête, des bombes de serpentins explosent ici ou là. Derrière, nos deux géantes foulent les rues genevoises pour la dernière fois sur les rives du lac Léman.
Arrivées près du jardin anglais, elles rejoignent leur lit pour la dernière procession jusqu’à la rotonde du Mont Blanc où elles mettront fin à leur séjour genevois. les lilliputiens les accompagnent se tenant par l’épaule l’air solennel. LA foule frissonne de voir partir ces deux marionnettes. Les lilliputiens semblent également émus de quitter la ville de Calvin mais sont encouragés par les applaudissements de la foule qui les remercient pour les nombreux efforts fournis durant ces 3 jours. On embarque les deux lits sur deux barges qui prennent la direction du bain des Pâquis où est écrit en lettres géantes le mot Poésie à bon escient. Les deux géantes sur leur lit, escortées par le chevalier du temps (qu’on a eu tendance à oublier durant ce week-end) quittent la rade et disparaissent derrière un écran de fumée mettant fin à leur périple genevois.

Une dame à côté de moi résume le sentiment général à cet instant « elles vont nous manquer, c’est qu’on s’y attacherait presque… »

C’était donc le résumé du spectacle auquel j’ai assisté. Mais la force de la saga des géants c’est que chacun a vécu sa propre histoire selon qu’il a partagé dix minutes, une heure, un réveil ou un coucher des géants. Certains ont vu la petite fille seulement debout, d’autres en trottinette, en scooter, conduisant ou assise sur sur le capot d’une voiture. On découvre au détour des photos ou des vidéos que chacun partage avec grand plaisir sur les réseaux sociaux (pour une fois bien utiles) un bout de la vie de chaque géante qu’un tel ou un tel a eu la chance de partager. Un peu comme un album de famille, chacun feuillette avec plaisir les souvenirs des autres car le temps d’un week-end, tous les genevois avaient au moins deux connaissances en commun. Il est impossible de tout voir de ce gigantesque spectacle ne serait ce que parce que les deux géantes empruntent des parcours différents mais peu importe la magie opère. Ce n’est donc pas un spectacle avec un début ou une fin mais juste 2 poupées moitié marionnette moitié humaine qui viennent visiter une ville, son histoire et ses traditions et que l’on prend plaisir à croiser au coin d’une rue et à suivre de longues heures si son emploi du temps le permet.
Je ne peux donc que vous conseiller d’assister un jour à la balade des géants peu importe l’endroit où elle a lieu. N’oubliez pas d’étudier attentivement leurs parcours afin de deviner où pourrait se produire les différentes animations surprenantes ou originales qui jalonnent la progression des géants. Petit indice, si vous voyez une grue, vous êtes surement au bon endroit. Et si vous croiser un géant par hasard, n’ayez pas peur et suivez le, il vous transportera dans un monde merveilleux. Merci à la compagnie Royal Deluxe pour ses spectacles féeriques!