Loin des Yeux loin du Cœur…

Je vais vous parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent, et ne voudraient surement pas connaître. Un temps où il était possible de perdre le contact avec un ami pour un simple déménagement à seulement quelques dizaines de kilomètres…
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Internet n’existait pas. Le Chronopost n’existait pas et une lettre pouvait sans grève de la Poste mettre plus d’une semaine à arriver même avec le tarif rapide. Les réseaux sociaux n’avaient pas encore été inventés puisque les ordinateurs n’en étaient qu’à leurs débuts. On devait encore composer un numéro de téléphone sur le cadran d’un poste fixe. Ça laissait alors peu de temps pour s’adonner au plaisir du selfie. Passion de toute façon risquée puisque l’ancêtre de la carte mémoire ne pouvait pas contenir plus de 24 poses à l’époque. Il n’y avait pas de seconde chance si vous n’aviez pas cadré correctement la tête de votre compagnon. Compagnon qui ne pouvait plus vous encadrer ensuite quand il découvrait quelques semaines plus tard le résultat après le développement des photos. Développement qui ne se passait pas sur une borne en libre service mais dans un laboratoire avec des êtres humains dont c’était le métier. Bon, vous allez me dire que je dépasse les bornes et que tout ça sonne trop négatif, vieux nostalgique que je suis. Vous avez entièrement raison.
On peut maintenant partir à l’autre bout du monde et regarder le petit dernier de la famille boire son biberon en direct sur son ordinateur. Nous recevons de nos jours bien plus de nouvelles du cousin parti sur un autre continent et qui partage ses photos de voyages sur les réseaux sociaux, que des voisins que nous croisons à peine et qui de toute façon ne sont pas nos amis sur Facebook, alors à quoi bon s’intéresser à leur vie!
Ah ce que j’aurais aimé que les moyens modernes de communication existent quand en dernière année de maternelle, Laureline, une jolie petite brune de 6 ans, reine des bacs à sable et princesse de mon cœur complètement désintéressé de l’époque, a décidé de suivre ses parents à l’autre bout de la France plutôt que de rester suivre l’enseignement de haut niveau de la meilleure école primaire de la région. Mon premier chagrin d’amour. Alors nous nous sommes promis de rester en contact, nos parents se chargeant de payer les timbres et de poster les lettres. Au début, je scrutais la boîte aux lettres tous les jours espérant une lettre de ma correspondante préférée. Je me mettais alors immédiatement à la rédaction de la réponse sur du papier avec un stylo. Réponse qui de toute façon se limitait à 3 phrases maximum parce qu’excepté à Noel avec la liste des cadeaux reçus, je n’avais pas grand chose à dire et encore moins à écrire. Et puis il faut être réaliste, à cet âge le vocabulaire est limité.
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Bientôt les lettres s’espacent. On change de classe et on se retrouve à côté d’une jolie blonde répondant au doux prénom de Marion. La distance et le temps auront fait leur effet. Et je serai bien incapable de vous dire qui de Laureline ou moi a envoyé la dernière lettre et qui n’a pas répondu….
Mais aujourd’hui, tout ça n’est plus possible à moins de perdre son téléphone portable en débarquant sur une île déserte sans ordinateur et connexion wifi! On se pose donc moins de questions quand on a la possibilité de changer de région, de pays ou même de continent. Pas de problèmes, on restera en contact, et pourtant…
Quand j’ai pris une décision toute bête il y a 5 ans de changer de travail, je savais que ma vie allait changer également mais je n’aurais jamais imaginé à quel point. Dans le train qui me ramenait de l’entretien d’embauche qui s’était déroulé comme sur des roulettes, je savais que mon évolution professionnelle était sur de bons rails. Je serai prochainement dans le même train, mais dans l’autre sens, avec femme et enfants, partant pour de nouvelles aventures dans une nouvelle ville et un nouveau pays. Bon il s’avère que je n’ai ni femme ni enfants ce qui fait que je n’ai même pas pu bénéficier du tarif famille nombreuse de la SNCF et que j’ai du payer plein pot mon billet, pas de pot. Juste avant de prendre mon train, je suis allé désactivé l’abonnement de mon pass navigo. La commerciale m’a dit que je pourrais le réactiver à tout moment sans aucun problème. Au fond de moi, je savais que ce ne serait jamais nécessaire et il doit traîner maintenant au fond d’un carton rempli de vieilles affaires dont je suis bien incapable de me séparer. Regarde d’où tu viens et tu sauras où tu vas, encore une expression qu’on lit partout et qui me sert à justifier tous les objets que j’entasse dans mes armoires et sur mes étagères. Si je ne garde pas mon vieux pass navigo, comment savoir qu’il y a 5ans, ma vie se résumait au fameux Métro Boulot Dodo dans la capitale française. Depuis j’ai remplacé le Métro par le Vélo ce qui est beaucoup plus sain pour la santé. J’ai remplacé les 35h par 42 sans RTT et avec un nombre de jours fériés bien inférieurs, mais le travail c’est la santé également il parait. Je travaille plus pour gagner plus mais j’ai beaucoup perdu. Mes amis sont restés à Paris et c’est mathématique on ne se refait pas en 5 ans des amis de 10 ans.
Quand j’ai reçu la confirmation que j’étais engagé, j’ai évidemment partagé la bonne nouvelle avec eux. En allant chez le traiteur libanais pour récupérer le festin censé marquer le coup, un ami l’a accusé, pas le libanais mais le coup et moi aussi par la même occasion. Car après les encouragements d’usage, c’est bien pour ta carrière, tu vas mieux gagner ta vie, il parait que les Suissesses sont super jolies, il a marqué un temps d’arrêt et a réalisé « Mais alors tu pars? ». Je crois que moi aussi je n’ai réalisé qu’à ce moment là que je n’allais pas seulement quitter un boulot pour un autre boulot. On se promet alors de faire des allers retours pour se voir souvent et qu’on ne laissera évidemment pas la distance changer quoi que ce soit à notre relation. Et puis les outils modernes sont là pour nous aider à rester en contact.
Au début, l’attrait de la nouveauté, les amis prennent à leur tour le train pour venir découvrir la région où se trouve mon nouveau boulot, pour faire du vélo et puis ensuite, évidemment, dodo. Et puis ils s’en retournent vers leur métro sans qu’on sache si c’est le franc fort, le manque de temps, les puces de canard du lac Léman ou les votations anti étrangers qui les découragent de revenir.
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Alors c’est moi qui prend mon billet à deux mains, le présente aux douaniers et monte dans le TGV pour retourner dans la ville qui m’a accueillit durant plus de 4ans. Quand j’arrive gare de Lyon, toujours en retard, je regrette déjà la ponctualité Suisse. Quand j’arrive sur le quai du métro ou du RER, j’ai déjà envie de repartir respirer l’air pollué de Genève qui parait d’une pureté inégalable comparé aux effluves nauséabondes des couloirs du métro. Quand je m’accroche à une barre dans la rame pour ne pas tomber, je me mets instantanément à rêver de savon et d’un robinet pour me laver les mains et boire un verre d’eau, oubliant qu’ici, l’eau ne vient pas des montagnes. Je ne la recrache pas mais ce n’est pas l’envie qui m’en manque. Le temps de me rendre d’un point à un autre dans cette grande ville, il s’écoule facilement 1 heure. En suisse, en 1 heure, on passe d’un côté du lac à l’autre, sur l’autre versant d’une montagne ou on change de Ville tout simplement. Rajouter 2h et vous avez traversé tout le pays. A Paris, on a juste changé 2 ou 3 fois de ligne de métro ou de RER pour arriver à destination. On a fait tout le voyage en face de gens avec des têtes d’enterrement, seul point commun avec la Suisse, l’effet transport en commun surement. Mais en Suisse le contrôleur à l’accent suisse allemand chantant, en France, il est absent soit parce qu’il fait grève soit parce que le train est bondé et qu’il préfère éviter d’affronter les usagers entassés sur des fauteuils inconfortables.
Enfin je suis arrivé à destination. Il est souvent très tard mais à Paris la vie commence à l’heure ou les gens s’endorment en Suisse. Les magasins sont toujours ouverts, les terrasses toujours pleines, les restaurants toujours prêts à accueillir les clients. Mais pour l’heure, je suis juste content de retrouver mes amis. J’ai à nouveau une vie sociale le temps d’un week end. Rien ne change ou plutôt si, on mesure le chemin parcouru depuis nos années étudiantes. On se reparle de nos exploits à la fac comme d’anciens combattants, on prend des nouvelles de ceux qu’on ne voient plus et puis on tombe de sommeil parce que la semaine a été longue et qu’on sait que des petits nains vont nous réveillés tôt le lendemain matin.
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Et puis les années passent, de plus en plus vite. On se dit le lundi qu’il faudrait qu’on prenne des nouvelles mais on envoie l’email que le vendredi… mais 3 mois plus tard! Au début on fait l’effort de prendre le train ou l’avion pour les anniversaires ou les pendaisons de crémaillères, on répond à chaque invitation parce qu’on est content de retourner goûter à son ancienne vie. Et puis on se dit aussi qu’il est temps de s’en créer une autre dans sa nouvelle ville d’adoption. Donc on refuse une invitation de temps en temps histoire aussi de découvrir le lieu et faire des rencontres là où on a décidé de faire sa vie. Et bientôt on ne reçoit même plus les invitations, les gens étant persuadés qu’on ne pourra de toute façon pas venir.  Alors forcément on ne vient plus, on prend gout à son nouveau rythme et à ses nouvelles habitudes, certains nouveaux amis commencent à prendre de la bouteille et c’est avec eux qu’ont les débouchent pour les anniversaires qui deviennent les excuses annuelles pour reprendre des nouvelles des autres, mais seulement par texto ou messageries instantanées interposées. Et puis un jour, on se rend compte que ça fait plus d’un an qu’on ne les a pas vu alors qu’il y a encore peu, il ne se passait pas deux semaines sans qu’on ne se croise au moins quelques minutes. Le temps et la distance a fait son effet. Alors bien sur, il y a les réseaux sociaux pour continuer à suivre leur vie mais plus qu’un moyen de prendre des nouvelles, c’est aussi une triste façon de se rendre compte qu’on ne fait plus trop partie de la leur.
Loin des yeux loin du cœur… Les réseaux sociaux sont un leurre.

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