
Ce qui est bien avec les décalages horaires, c’est qu’on peut partir à 10h d’Europe, se farcir 10h d’avion et avoir encore toute une après midi devant soi en arrivant à destination. Les yeux piquent un peu mais c’est facile de les garder ouverts quand on a toute une ville à découvrir. Vancouver a beau être typiquement nord américaine avec ses gratte ciels, ses rues à angle droit numérotées et ses fast food à tous les coins de rues, elle n’en reste pas moins une ville extrêmement agréable puisqu’entourée d’eau et de montagne. Ce n’est pas pour rien qu’elle est régulièrement au top dans tous les classements des villes où il fait bon vivre. Et effectivement il suffit de suivre la promenade au bord de l’eau pour s’en rendre compte. Les immeubles résidentiels à l’architecture moderne ont à peu près tous vue sur les montagnes encore enneigées à cette époque et sont pour la plupart à moins de 10 minutes à pied du bord de l’eau, ça fait envie. Mais il y a aussi le revers de la médaille et une pauvreté assez présente en centre ville avec de nombreux homeless. En me baladant dans Chinatown, j’ai bifurqué par hasard dans une rue transformée en vide grenier. Normalement, je saute de joie quand je tombe sur ce genre d’événement mais là j’étais mal à l’aise puisque les vendeurs étaient plutôt des sans abris qui revendaient tout ce qu’ils avaient sous la main. J’en ai même vu en train de négocier de la viande sous cellophane. Et tout autour de cet étrange marché, à mon avis improvisé puisque je n’ai lu aucun guide le mentionnant, tout un tas de marginaux et de personnes qui avaient à mon avis abusés de certaines substances illégales. 10 minutes de marche plus tard j’étais à nouveau dans le centre touristique et commerçant de Vancouver.

Après avoir vu ça, j’avais un grand besoin de spiritualité. J’ai hésité avec les spiritueux mais alcool et jet lag ne font pas bon ménage. Non ce qu’il me fallait c’était quelque chose de fort mais pas liquide et ça tombe bien puisqu’à l’heure où la religion est souvent utilisée comme excuse pour déclencher des guerres, la religion majoritaire au Canada est elle complétement inoffensive, du moins pour ses adorateurs, un peu moins pour les acteurs du culte. Rien d’interdit aux moins de 18ans, ils sont d’ailleurs des milliers de jeunes à pratiquer à travers le pays. Cette religion majoritaire n’est donc ni le christianisme, ni l’islam ni encore le bouddhisme mais bien le hockey sur glace dont le temple est le Centre Belle à Montréal où jouent les canadiens, le club multi titré du pays à la feuille d’érable. Les abonnements se transmettent de génération en génération, les listes d’attente sont énormes et même pour avoir un billet pour un unique match, il faut s’y prendre de bonne heure. Le parcours du combattant pour aller se recueillir dans la Mecque du hockey sur glace pour un non canadien est encore plus rude. Je l’ai expérimenté il y a quelques années. Impossible de commander un billet par internet, il faut donc téléphoner directement au service billeterie des Canadiens et évidemment faire attention au décalage horaire et à l’accent susceptible de décontenancer la première fois.
A Vancouver on est aussi très croyants mais ici on trouve plutôt des adorateurs des Canucks le club local. En argot, il semble que ça veuille aussi dire Canadiens et que ça servait à désigner les canadiens français dans le passé. C’est un peu comme si le club de hockey de Genève s’appelait les Genève Frouzes…(surnom donné par les Suisses au Français). La laïcité n’est pas vraiment de mise ici. Chacun porte haut ses couleurs dans la rue et les jours de matchs, beaucoup de personnes sont habillés aux couleurs du club (bleu et vert) ; les bus font même du prosélytisme en affichant « Go Canucks » en intermittence avec leur destination. Tous les chemins même à Rome mais tous les bus ne se dirigent quand même pas vers la Rogers Arena, sorte d’enclave vaticanesque dans la ville où seul compte le sport qui se joue sur la glace avec une crosse.
Une heure avant le match, je me suis moi aussi lancé dans le pèlerinage jusqu’à la salle qui ne se trouve qu’à une vingtaine de minutes à pied du centre ville. Et un peu comme sur le chemin de St Jacques de Compostelle, je n’étais pas le seul pèlerin. Le temps des croisades étant révolus, je n’ai vu aucun maillot de la religion concurrente du soir, les St Louis Blues.
Arrivé à la salle, mon premier objectif a été évidemment d’essayer de retrouver Marie Hélène (voir épisode précédent). J’étais persuadé qu’elle m’avait trouvé pas laid mais son truc à elle c’était quand même plus le puck ou la rondelle, ce petit rond de caoutchouc tout noire que se dispute les hockeyeurs. Je l’ai attendue, elle n’est jamais venue. C’est ce qui s’appelle poser un lapin, bien que je sois sûr qu’ici ça doit se dire plutôt déterrer la marmotte ou fuir le caribou. Tant pis, je profiterai du match tout seul avec ma junk food. Car oui, ça ne sent pas le caribou quand on entre dans la salle mais bien l’odeur caractéristique du fast food chargé de graisse. On est donc irrémédiablement attiré par les stands de hot dogs et de hamburgers avant d’aller rejoindre sa place dans cette immense arena de près de 20000 spectateurs. Rien à voir avec les patinoires de 7000 places en Suisse par exemple. Et ce qui n’a rien à voir également c’est l’ambiance. Alors qu’en Suisse, il y a des kops de supporters comme au football qui crient, insultes et chantent durant toute la partie, ici c’est un public plutôt discipliné qui mange ses frites sagement, qui encourage quand on le lui dit et qui frappe dans les mains quand on le lui dit aussi. Le seul moment où il réagit de lui même c’est quand un joueur est mis en échec contre la bande (traduction pour les novices, il se fait exploser contre la balustrade mais rassurez vous, il a les protections en conséquence), pour le supporter de hockey c’est une petite victoire, parfois même plus qu’un but. Et quand son équipe est incapable de marquer un but comme ce soir, c’est son motif de satisfaction. ça et la qualité des frites bien-sur.
J’oublie aussi la joie de passer sur l’écran géant. Le supporter nord américain quand il se rend au stade n’espère qu’une chose. Non pas la victoire de son équipe, c’est un détail. Non il rêve de passer sur l’écran géant sous les acclamations de tous ses congénères jaloux de sa gloire éphémère. Mais attention règle très importante : malgré le fait qu’il s’agite dans tous les sens au rythme de la sono, qu’il se déguise comme pour le carnaval pour sortir du lot, qu’il prépare tout un tas de pancarte en espérant avoir le slogan qui fera mouche et attirera l’objectif. Eh bien malgré tout ça, systématiquement quand il atteindra le sein Graal en se retrouvant propulser sur les 4 faces du panneau lumineux centrale, il fera celui qui est surpris et qui ne s’y attendait pas….vive l’hypocrisie. Petit conseil si vous aussi vous voulez faire partie de la secte du culte de l’image sur écran géant, à votre premier match, prenez un grand carton et écrivez « ceci est mon premier match des Canucks » Evidemment si c’est votre deuxième, trop tard, ça ne marche pas. A vrai dire, vous pouvez aussi mentir même si c’est la 43ème fois que vous venez puisque personne n’ira vérifier vos antécédents en matière de match de hockey. Hier soir la grande gagnante a été cette mamie qui venait pour la première fois (il était temps vu son âge…). C’est sa petite fille qui avait préparé le panneau. Par contre elle ne s’était pas entraîné à bien se positionner pour la caméra. La première fois qu’elle est passé à l’écran, on voyait elle, la pancarte mais pas la mamie caché derrière; Aucune réaction dans la salle ; deuxième tentative, la mamie a passé la tête à droite, la salle l’a vue. Ovation générale. Je n’ai pas bien compris pourquoi. Avoir attendu tout ce temps, elle aurait pu venir avant non ? On s’étonne qu’avec des supporters comme ça, les Canucks ont perdu 3-0…

Mais mon moment préféré du match a tout de même été cette petite anecdote que je m’en vais vous conter maintenant. Enfin je reste derrière mon clavier, c’est une façon de parler. Un match de hockey ça dure un peu plus de 2h. Le supporter de hockey est en général un beau bébé qui a besoin de bière et de beaucoup de hot dogs pour sa croissance ce qui nécessite des allers et venues incessantes durant la rencontre. Les rangées de sièges n’étant pas très larges, pour peu que le supporter soit au milieu, toute la rangée doit se lever pour le laisser rejoindre son siège. Jusque là rien de bien folichon je suis d’accord avec vous. Et puis il y a eu cet instant vers la fin du match. Le rang était déjà clairsemé vu le score. Ma voisine deux sièges à côté de moi croit voir arriver un membre de notre secteur. Dans un élan de bonté proactif elle décide donc de se lever son verre de bière à la main. Je ne sais pas comment appeler cette réaction de manière scientifique mais tout liquide dans un récipient non couvert confronté à un mouvement brusque suis l’élan que le propriétaire du récipient lui donne. En termes clairs, une grosse lichette de bière est sortie du verre pour aller s’écraser deux rangées plus bas dans le dos d’un supporter qui n’a rien senti. Grand moment de solitude, dans une salle de 20000 personnes, un comble. Réaction humaine dans ce cas là, négation de la mini catastrophe qui vient de se produire. Vérification de la réaction du supporter, il ne bronche pas, ouf. Regard à droite à la personne qui l’accompagne dans une sorte de double recherche d’aide en cas de réaction violente du spectateur arrosé et de consolation avec la perte du précieux breuvage mais elle n’a rien vu non plus. Va-t-elle s’en sortir à bon compte? Dernier check. Regard à gauche, où je me trouve, pour vérifier qu’il n’y a quand même pas un autre témoin gênant de la scène. Dommage j’ai tout vu. Centième de seconde. Regard gêné de la dame, comment va-t-il le prendre, vais-je devoir faire des excuses publiques sur l’écran géant? Etant le seul témoin de la scène, je l’ai rassurée tout de suite en éclatant de rire ; ça l’a soulagée. Elle s’est mise également à rire, ça restera notre petit secret et le mec maudira en rentrant chez lui le sacripant qui lui a fait une grosse tâche de bière sur son beau maillot, bourré comme il l’est il pensera même que c’est lui….
Conclusion de la soirée, toujours sympa d’aller voir un match de hockey au Canada où c’est une vraie religion même si l’ambiance n’est pas aussi énorme que ce à quoi on pourrait s’attendre. A ne pas rater donc si vous venez pendant la saison qui se déroule de Septembre à Mai environ.
